Le Journal du dimanche No. 3922

Elles ou ils sont auxiliaires de vie, et s’occupent des aînés. Femmes de ménage, qui nettoient les bureaux à l’heure où leurs occupants n’y sont pas encore. Agents de sécurité contrôlant les sacs à la sortie des magasins. Ce sont les invisibles, que beaucoup voient sans les regarder ni leur prêter attention. Ils passent aussi sous les radars de la statistique. Sans eux, pourtant, les supermarchés n’auraient pas été approvisionnés durant les confinements sanitaires, les malades transportés vers les hôpitaux ou les colis livrés à domicile. En clair, notre société ne tournerait pas rond. Essentiels à la bonne marche de l’économie, ces femmes et ces hommes demeurent une sorte d’objet social non identifié, ni col blanc ni col bleu, selon les traditionnelles catégories du corps salarial. Pour mieux appréhender ces travailleurs…

Ils n’ont pas été applaudis pendant le premier confinement. Ces travailleurs de seconde ligne, qui ont permis en 2020 et 2021 au pays de tourner, de vivre le moins anormalement possible, ont le blues. Ces deux dernières années, ils ont subi des vies plus contraintes. Ces « invisibles » n’ont pas bénéficié autant qu’ils l’espéraient des dotations issues du fameux « quoi qu’il en coûte » présidentiel. Ils constituent à la fois le ciment de la société française et le terreau de bien des mouvements sociaux. Beaucoup se considèrent comme les grands oubliés du quinquennat d’Emmanuel Macron. Aux antipodes de la « start-up nation » vantée il y a cinq ans, ils n’ont pas créé leur entreprise, et leur véhicule individuel est un outil de travail de plus en plus moqué.…

Quelles sont les caractéristiques des travailleurs de l’ombre ? Ce sont des salariés du back-office, au service des clients. Ils évoluent dans des filières très hétérogènes. On parle donc DES milieux populaires, et cette pluralité concourt à leur émiettement et à leur archipélisation. À la différence de la classe ouvrière dans l’industrie d’antan, leur sentiment d’appartenance à un groupe social apparaît moins évident que par le passé. Ces métiers sont également très genrés : des femmes dans le nettoyage et le prolétariat de la silver economy (aides-soignantes des Ehpad, auxiliaires de vie…) ; des hommes dans le transport, la logistique et la sécurité. Autre caractéristique, ils occupent des métiers d’exécution nécessitant peu de qualification. Avec la révolution éducative, 80 % d’une classe d’âge décroche désormais le bac. Ceux qui ne l’ont…

« On s’habille chaudement pour limiter l’utilisation des radiateurs » Pour elle, pas de pause dominicale. Ce soir, Guerline prendra le volant de sa Dacia Sandero. Direction les gigantesques entrepôts d’Amazon près de la base aérienne de Brétignysur-Orge (Essonne). De 20 heures à 6 heures, cette femme de 45 ans se tiendra debout, l’œil sur un écran, pour ranger des colis dans des armoires jaunes qui défilent de façon automatisée. Agente de logistique, elle y travaille deux nuits par semaine, samedi et dimanche, payées au smic. « Le lundi, je suis KO », lâche la représentante syndicale CFDT, pourtant habituée aux horaires décalés. Dans ce centre de stockage, les équipes se succèdent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Guerline travaille pendant dix heures, avec deux pauses d’une demi-heure. « Dans…

Depuis deux mois, je suis enfin en CDI. J’ai arrêté le lycée à 16 ans, à la fin de ma seconde bac pro d’électrotechnique. Je suis préparateur de commandes en fruits et légumes à Rungis [Val-de-Marne] depuis six mois. Je travaille de 8 heures à 17 heures, cinq jours sur sept. Je me repose les mercredis et dimanches. Selon les jours, je prépare de 4 à 6 tonnes de marchandises à livrer à de grandes enseignes. Je passe mon temps debout, sauf quand je conduis le chariot élévateur pour soulever les palettes. Comme je mesure 1,70 mètre, je dois souvent me mettre sur la pointe des pieds pour récupérer des cagettes posées à 2,20 mètres du sol. Quand elles pèsent 10 ou 20 kilos et qu’on le fait 40 fois…

« Moi, avec ma pension de 877 euros par mois, je me serre la ceinture » Dans l’esprit des gens, les retraités mènent forcément la belle vie, ils vont à des thés dansants et n’ont aucun souci. Moi, avec ma pension de 877 euros par mois, je me serre la ceinture. Je vais récupérer des colis alimentaires au Secours populaire un lundi par mois. J’achète le reste dans les rayons promo et les produits bientôt périmés chez Cora. Les fins de mois, je me rabats sur les œufs, les pommes de terre, les pâtes et les lardons. Je fais du troc avec ma copine Adrienne. Je ne voyage pas, je ne vais pas au musée, au ciné ou au restaurant. Je suis de la « classe du dessous ». J’ai toujours vécu…